Dans les « Guidelines on deinstitutionalization of persons with disabilities, including in emergency situations » du Comité des droits des personnes handicapées (2021 - réf. art. 19 CDPH, Obs. no. 5), l'« institution » visée par la desinstitutionalisation est définie comme : « any setting in which persons with disabilities cannot exercise their choice concerning living arrangements, and where persons with disabilities lack control and autonomy about their daily lives ». Cette définition amène ainsi à considérer que l'« institution » peut se manifester dans différents lieux de vie, indépendamment de leur structure ou de leur visée, y compris dans la sphère privée.
Ainsi, cette définition de l'« institution» est axée sur le concept d'« autonomie » et invoque l'idée de « manque de contrôle » dans le quotidien comme un aspect central de l'institutionalisation. Mais comment comprendre la notion d'« autonomie » qui fonde ici la définition de l'« institutionalisation », et qui est par conséquent au cœur de l'idée de « désinstitutionalisation » ? Cette communication vise à interroger cette notion, en analysant son rapport aux concepts d'« agentivité » et de « vulnérabilité », à partir de deux lignes philosophiques :
1. D'une part, les approches wittgensteiniennes de l'« agentivité », dans le sillage des travaux d'Elizabeth Anscombe (1957) et de Vincent Descombes (2004), critiquent la conception de l'autonomie et de l'agentivité héritée de la modernité et qui persiste jusque dans les critiques contemporaines du sujet. Ces approches proposent ainsi de repenser l'autonomie, non pas comme l'expression d'une caractéristique intrinsèque des sujets-agents, mais comme le résultat d'un apprentissage conditionné par son inscription dans un contexte social et relationnel. Non seulement l'autonomie n'est plus alors indépendance vis-à-vis des liens sociaux et des moyens d'agir. Mais l'autonomie n'est plus dès lors propriété d'un type d'agent. Elle se manifeste différemment et à divers degrés dans les actions selon leurs circonstances.
2. D'autre part, les éthiques du care ont mis au cœur de la réflexion morale et politique la vulnérabilité comme trait de l'humain (Mackenzie et al. 2013; Garreau 2018; Laugier dir. 2012), qui s'accompagne d'une critique de la définition de l'autonomie comme indépendance, en faveur d'une conception relationnelle de l'autonomie (Jouan&Laugier 2009; Mackenzie&Stoljar 2000). Dans cette perspective, Eva Kittay (2011) a mis en lumière le risque que, dans la réflexion sur le handicap et l'inclusion, on réplique l'image moderne du sujet autonome, qui a pour conséquence d'effacer la vulnérabilité des possibilités de l'humain et de négliger les liens de dépendance qui rendent possibles notre autonomie, en considérant les liens de care comme purement instrumentaux.
À partir de ces deux approches, il s'agira de questionner l'image du sujet qui s'exprime à travers l'idée d'autonomie définissant l'institutionalisation dans les lignes guide du Comité, en posant les questions suivantes : la conception de l'humain impliquée dans l'idée d'autonomie qui fonde l'appel à la desinstitutionalisation, tombe-t-elle sous les critiques que les éthiques du care, d'une part, et les perspectives wittgensteiniennes de l'action, de l'autre, ont proposées de l'image du sujet autonome propre aux théories de la justice classiques ? Reste-t-il un espace pour l'agentivité si on reconsidère l'idée d'autonomie à la lumière de celles de dépendance et de vulnérabilité (Garreau 2021) ? Qu'est-ce que l'idée de société inclusive aurait à gagner d'une image du sujet qui n'exclut pas la dépendance d'un réseau relationnel ?