Depuis l'après-guerre, et l'incroyable production de circulaires, rapports et autres lois, la psychiatrie a opéré un tournant majeur, législatif d'abord, puis politique et organisationnel, donnant naissance à ce qu'il est souvent appelé désinstitutionalisation, ou plutôt devrait-on dire déshospitalisation (Eyraud 2006 ; Klein et al. 2018). Les « aléas » dans la mise en oeuvre de ces réformes, et les paradoxes de la sectorisation ont été abondamment soulignés (Biarez 2002 ; Piel et Roelandt 2001), notamment la difficulté « chronique » à sortir d'un hospitalocentrisme. En effet, si ce mouvement s'est traduit par une persistance des inégalités territoriales (Coldefy 2010), les contradictions et incohérences du découpage sectoriel ainsi que la difficulté de coordination entre les secteurs de psychiatrie et le travail social, et le secteur privé ont été relevés (Coldefy 2008 : 19).
Cependant, depuis les années 2000, un certain nombre de programmes expérimentaux ou pérennes ont vu le jour, donnant naissance aux GEM (Groupes d'Entraide Mutuelle), au programme Un Chez Soi d'Abord, médiateurs de santé/pairs etc. A Marseille, « terrain » privilégié de ce type d'expérimentations est né en 2017 le COFOR, suite à un appel à projets de la DGS. Atypique, antithèse d'une institution classique en psychiatrie, comptant 90% d'intervenants directement concernés par la santé mentale, le Cofor est pourtant né d'une possibilité offerte par le ministère de la santé de créer un espace interstitiel, « hors institutions », dans le but de lutter notamment contre les effets pervers de ce que les professionnels de la santé mentale nomment « l'institutionnalisation des patients ».
Les premiers résultats après 4 ans d'existence montrent, à partir d'un matériau qualitatif recueilli par observation directe, entretiens et focus groupes avec des personnes inscrites dans ce projet et vivant avec des troubles psychiques « sévères » au-delà de certains effets « positifs » anticipés sur ses participants, que cet espace s'est « institutionnalisé » en se constituant comme une « institution capacitante », capable de redonner du pouvoir d'agir et respectant les individus et leurs singularités. Cette communication invitera à penser les conditions de naissance d'une telle institution et ce qu'elle révèle en creux du fonctionnement, et de l'emprise des institutions classiques sur le sujet.
Bibliographie indicative:
BIAREZ S, Quelle politique pour la santé mentale ? Rapport pour la MiRe, convention n°27/00, CRES, 2002.
COLDEFY M
(Dir.), La prise en charge de la santé mentale. Etudes et Statistiques, Paris, Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité, 2008.
De l'asile à la ville : une géographie de la prise en charge de la maladie mentale en France. Thèse de doctorat de géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Ecole doctorale de géographie, 2010 En ligne, Url :
http://www.irdes.fr/EspaceEnseignement/ThesesMemoires/TheseMagaliColdefyAsileVille.pdf (Accédé le 20/11/21)
EYRAUD B, « Quelle autonomie pour les incapables majeurs ? Déshospitalisation psychiatrique et mise sous tutelle » Politix vol. 19, n°73 : 109-135, 2006.
GOFFMAN E, Asiles, Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968 (1ère éd. 1961)
KLEIN A, GUILLEMAIN H, THIFAULT M-C (Dir.), La fin de l'asile ? Histoire de la déshospitalisation psychiatrique dans l'espace francophone au XXe siècle, Presses universitaires de Rennes, 2018.
PIEL E et ROELANDT J-L, De la psychiatrie vers la santé mentale. Rapport de mission.
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