Institution ou individualité : quelle alternative nous livre l'analyse de témoignages personnels de la schizophrénie ?
Rosanna Wannberg  1, 2@  
1 : Université Saint-Louis Bruxelles
2 : École des hautes études en sciences sociales
Pierre-Henri Castel (directeur de thèse EHESS), Valérie Aucouturier (directrice USL-B)

Résumé

Depuis le mouvement antipsychiatrique jusqu'aujourd'hui, la psychiatrie fait l'objet de critiques récurrentes qui dénoncent son pouvoir désindividualisant. En effet, si « l'institution totale » qu'était l'asile fermée, critiquée notamment par Erving Goffman pour ses effets mortifères sur l'identité des malades, a actuellement cédé la place à une prise en charge « désinstitutionnalisée » en ambulatoire des troubles mentaux y compris les plus sévères (comme la schizophrénie), la psychiatrie en tant qu'institution sociale, définie par un ensemble de normes et valeurs qui régulent les pratiques et les échanges entre individus, n'en reste pas moins vivante ; en tant que telle, elle continue de susciter des inquiétudes liées à sa force normative, perçue comme nuisible aux individus. Notre communication se propose de questionner ces critiques et de revisiter ainsi la question des rapports entre l'institutionnel et l'individuel à partir d'un prisme précis : celui des récits personnels d'individus se présentant comme rétablies de la schizophrénie, publiés dans la revue scientifique Schizophrenia bulletin. Concomitamment au processus de désinstitutionalisation en psychiatre, est en effet apparue la volonté d'inclure dans la recherche et dans les pratiques thérapeutiques, la « perspective en première personne » sur la maladie. Cependant, dès lors que la parole des malades fait l'objet d'efforts d'inclusion systématiques, un nouvel espace normatif semble se constituer, auquel celle-ci doit se plier, au risque de voir sa singularité s'effacer. En nous appuyant sur une analyse des témoignages personnels de la schizophrénie et des débats qui les entourent, nous tenterons au contraire de montrer le rôle constitutif de l'institution dans l'individualité, y compris dans ce qu'elle a de plus intime.

Bibliographie indicative

Davidson, L. Living outside mental illness: qualitative studies of recovery in schizophrenia, New York, New York University Press, 2003.

Descombes, V. Le complément du sujet. Enquête sur fait d'agir de soi-même, Paris, Gallimard, 2004. 

Descombes, V. Les institutions du sens, Paris, Éditions de Minuit, 1996.

Ehrenberg, A. La mécanique des passions. Cerveau, comportement, société, Paris, Odile Jacob, 2018.

Goffman, E., La mise en scène de la vie quotidienne. 2. Les relations en public, Paris, Éditions de Minuit, 1973.

Moran, R. Autorité et aliénation. Essai sur la connaissance de soi, Paris, Vrin, 2014.

Moran, R. The exchange of words. Speech, testimony, and intersubjectivity, Oxford, Oxford University Press, 2018.

Schizophrenia bulletin, « First person accounts », 1979-2019.

Woods, A. « Rethinking “patient testimony” in the medical humanities: the case of Schizophrenia bulletins first person accounts », Journal of literature and science, 6(1), 2012, p. 38-54.

Woods, A. et al. « The recovery narrative: politics and possibilities of a genre », Culture, medicine and psychiatry, 2019, pp. 1-27.


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