Le maintien à domicile des personnes âgées vivant avec des troubles cognitifs : une réinstitutionnalisation imposée par une approche biomédicale et économiciste de la dépendance
Rebecca Durollet  1, 2@  
1 : Université de Genève
2 : Département de Géographie et Environnement

Nos sociétés vieillissent, et avec ce vieillissement on observe un accroissement des situations de fragilité. Pourtant, la tendance à considérer la réussite en termes d'indépendance, d'autonomie et d'efficacité, voire à promouvoir « la réussite de son vieillissement » contribue à précariser les personnes les plus vulnérables qui sont exclues de ce système « performant ». La politique de maintien à domicile installée pour des questions de préférence individuelle et de budget collectif favorise un vieillissement chez-soi le plus longtemps possible. Les personnes vivant avec des troubles cognitifs sont particulièrement sensibles à leur environnement construit et social et un vrai risque d'isolement est à craindre si ce dernier ne leur est pas adapté. Elles vivent souvent avec le double stigmate de la vieillesse et du handicap « mental ». Un soin particulier devrait donc être accordé au contexte dans lequel elles vivent désormais avec leur maladie.

Bien que la Suisse ait récemment proposé une stratégie nationale pour la démence, les mesures restent essentiellement individuelles et médicales, soutenues par des arguments économiques (l'institution coûte cher). Le problème est certes publicisé mais encore peu considéré sous son angle social, alors même que 60% des personnes atteintes de démence vivent à domicile. Ainsi, le réductionnisme matérialiste (Lussault, 2010) de la politique de maintien à domicile et de la prise en charge de la démence fait abstraction de la complexité des spatialités quotidiennes des personnes atteintes de troubles cognitifs et contribue par là même à une nouvelle forme d'institutionnalisation. Pourtant, je pose l'hypothèse qu'avec les bons outils et moyens, la fabrique des espaces qui font l'habitat par les divers acteurs de la production de la ville peut contribuer au « prendre soin » des vulnérabilités urbaines, notamment des personnes vivant avec une forme de démence. Elle doit pour cela dépasser la catégorisation qui sépare les « ayants-droits » à la ville (la « norme ») de ceux qui en sont exclus par la fabrique d' « ableist spaces » (Imrie, 1996 ; Imrie et Luck, 2014 ; Chouinard et al., 2010 ; Butler et Bowlby, 1997 ; Parr, 1997 ; 2008).

Ma recherche s'intéresse particulièrement au contexte romand avec une analyse critique des politiques publiques et du dispositif spatial dans les cantons de Genève et de Vaud. Elle s'inscrit dans une géographie sociale en milieu urbain et plus spécifiquement dans le champ de la géographie du handicap (geographies of disability) qui a pour objectif de comprendre les relations entre espace, situation de handicap et société. Elle combine cela avec une réflexion morale issue de la philosophie de l'éthique autour de la notion de care et au modèle social du handicap qui insiste sur la dimension politiquement et socialement construite de la situation de handicap. Réfléchir aux outils et moyens permettant de vivre dans un milieu de vie de qualité implique de dépasser le modèle biomédical et les ambitions économiques. Plus d'interdisciplinarité et de transparence, moins de sectorisation et de catégorisation contribueraient à prendre en compte la complexité des réalités spatiales quotidiennes des personnes atteintes de démence, et à « prendre soin » (care) de ces personnes en situation de handicap et particulièrement vulnérables.


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