Le parcours de vie entre défense sociale et maladie mentale de Maxence C. Etude d'un cas de dégénéré délinquant dans la Belgique du XXème siècle
Samuel Dal Zilio  1@  
1 : Université du Luxembourg

« L'intelligence et le sens moral d'un enfant de 8 ans », c'est par ces mots qu'en août 1933, le médecin-chef de l'Etablissement de Défense Sociale de Tournai qualifie l'état psychique de Maxence C., un débile mental (sic) reconnu coupable du chef de vol et d'escroquerie mais jugé incapable du contrôle de ses actions. A l'aube de ses 27 ans, ce « demi-fou » enchaîne depuis vingt ans les séjours en institution. Entre internats médico-pédagogiques, asiles d'aliénés et établissements de défense sociale, le parcours de vie de Maxence C. est jalonné de multiples interactions avec les autorités judiciaires, médicales et administratives qui tantôt le condamne à l'incarcération, tantôt favorise sa réhabilitation au sein de la société. Arrimé à cette identité de marginal dans un « monde faux et crapuleux » selon ses dires, Maxence C. peine à acquérir une pleine autonomie synonyme de liberté (re)trouvée. Travail, suivi médical, tutelle morale et accompagnement familial semblent toujours vains. Devenu sexagénaire, il demeure ainsi un « danger social » balloté entre asiles-prisons et prisons-asiles aux quatre coins du royaume.

A travers l'examen minutieux d'un dossier de plusieurs centaines de pages élaboré par la Commission de défense sociale de Forest, cette communication propose de mettre en lumière la complexité de la trajectoire de vie d'un individu à la fois criminel et aliéné, visé par un dispositif hybride de sécurité et de soins. Si cette étude considère la perspective du patient à travers une histoire par le bas, elle dépasse celle-ci pour entrouvrir la possibilité d'un récit polyphonique sur des temps longs qui confronte de multiples voix (celle de l'administration et de la police, celle des médecins et des magistrats, celle du malade et de ses proches). Nourrit par les enseignements de la micro-histoire et de l'étude de cas dans la recherche historique, cette contribution offre un regard original sur l'évolution des normes qui conditionnent un mouvement vers ou, au contraire, hors de l'institution. Les phases d'entrée et de sortie des établissements sont en effet des moments charnières de l'affirmation du pouvoir des acteurs. Dès lors, quels sont les motifs à une incarcération et quelles sont les conditions à un élargissement ? Comment s'organise la prise de la décision entre les différents intervenants ? Et qui en assure le contrôle et le suivi ? Enfin, quelles sont les marges de manœuvre et les capacités d'actions du « malade » face à eux ?

Cette étude d'une trajectoire de vie individuelle constitue également une opportunité de s'interroger sur l'évolution des systèmes de prise en charge des criminels malades mentaux dans le royaume au XXème siècle. Ainsi durant l'existence de Maxence C. se créent de nouvelles structures psychiatriques (dispensaires d'hygiène mentale, annexes psychiatriques dans les prisons et les hôpitaux généraux, établissements de défense sociale, etc.) se construisent des nouvelles politiques sociales (INAMI, CPAS, mutualités, etc.), s'élaborent des nouvelles législations (loi relative à la défense sociale, au handicap, à la maladie mentale), s'affirment de nouveaux métiers de la santé mentale (psychologue, infirmière psychiatrique, assistants sociaux, etc.), s'établissent de nouveaux rapports à la folie, au handicap et à la criminalité.



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