Composer avec ou sans les institutions du handicap ? Analyse de récits biographiques de personnes avant grandi avec une déficience visuelle ou avec des troubles dys, en France.
Célia Bouchet  1@  
1 : Observatoire sociologique du changement
Sciences Po, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR7049
27 rue Saint Guillaume 75337 Paris Cedex 07 -  France

La législation française sur le handicap1 comme les référentiels internationaux2 couvrent toutes les personnes vivant avec une déficience qui rencontrent des limitations ou des restrictions de participation. Or, la reconnaissance administrative d'un handicap concerne une population plus étroite et partiellement distincte (Ravaud, Letourmy, & Ville, 2002; Ville, Ravaud, & Letourmy, 2003). Les recours de personnes rencontrant des limitations aux dispositifs publics du handicap (y compris aux reconnaissances administratives) sont plus courants quand la condition est visible et historiquement rattachée au champ du handicap, en cas de déficiences visuelles ou motrices par exemple, qu'en cas de visibilité faible et d'entrée dans le champ plus récente (troubles cognitifs ou psychiques ; voir Engel & Munger, 2003; Segon, 2017)⁠. Les comparaisons entre groupes restent à approfondir. Comment ces rapports contrastés aux institutions se forgent-ils ? Évoluent-ils, au cours d'une vie ou au fil des générations ?

À partir de 37 entretiens biographiques réalisés en France métropolitaine entre décembre 2019 et juin 2020, nous examinons les rapports aux dispositifs publics du handicap de deux groupes de personnes rencontrant des limitations depuis l'enfance : certaines avec une déficience visuelle (20), d'autres avec des troubles dys - dyslexie, dyscalculie, dyspraxie... (17). ⁠Les personnes interrogées qui ont grandi avec une déficience visuelle forte, davantage que celles avec une déficience visuelle modérée ou des troubles dys, ont eu d'un dossier administratif dès l'enfance et l'ont renouvelé à l'entrée à l'âge adulte. Certaines des premières, aux ressources culturelles importantes (origine sociale favorisée, diplôme de l'enseignement supérieur), ont aussi appris à réaliser des réclamations : recours aux syndicats, au Défenseur des droits... Mais la frontière entre les groupes n'est pas absolue. Premièrement, certaines personnes avec des troubles dys ou une déficience visuelle modérée ont pu connaître des aménagements informels dès l'enfance, sans avoir de dossier administratif. Deuxièmement, la dégradation de la déficience visuelle ou la pose tardive d'un diagnostic de troubles dys a amené certaines personnes à se familiariser avec des dispositifs spécialisés. Troisièmement et enfin, l'évolution des politiques publiques génère une convergence au fil des générations, avec une moindre fréquentation de modes de scolarisation spécialisés parmi les plus jeunes personnes déficientes visuelles interrogées et un recours à des aménagements formels de plus en plus précoce parmi les personnes dys.

Références

Engel, D. M., & Munger, F. W. (2003). Rights of inclusion : law and identity in the life stories of Americans with disabilities. Chicago: University of Chicago Press. 

Ravaud, J.-F., Letourmy, A., & Ville, I. (2002). Les méthodes de délimitation de la population handicapée : l'approche de l'enquête de l'Insee Vie quotidienne et santé. Population, 57(3), 541–567. 

Segon, M. (2017). Sociologie d'une case à cocher : penser les (dé)limitations des possibles professionnels et compensatoires des anciens « étudiants handicapés » à travers l'analyse de leurs recours à la RQTH. Montpellier 3. 

Ville, I., Ravaud, J.-F., & Letourmy, A. (2003). Les désignations du handicap. Revue française des affaires sociales, (1), 31–53.

 

1Article 1 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005

2Organisation mondiale de la santé, Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, 2001


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