Cette proposition de communication est issue d'une recherche doctorale qui a porté sur la question du handicap en prison. Nous avons cherché à comprendre comment la question du handicap se présente à l'univers carcéral à travers une recherche documentaire (documents législatifs nationaux et internationaux) et une recherche ethnographique (quatre prisons pour hommes majeurs en France). Nous proposons donc de montrer comment les valeurs contenues dans les textes législatives (autonomie, dignité, égalité) visant à promouvoir la désinstitutionalisation sont mises en place dans l'univers si particulier de la prison.
Nous exposerons tout d'abord les méthodes développées : analyse d'un corpus de textes, une ethnographie de quatre prisons, et enfin une méthode d'analyse pour faire dialoguer les deux. Nous développerons ensuite les analyses pour terminer sur un résultat qui suggère que l'institutionnalisation n'est plus tellement liée à la prise en charge par une institution particulière mais se matérialise dans une suite/un cumul de prises en charge par diverses instituions (médicales, éducatives, sociales et pénales). Certaines populations semblent faire l'objet de ce cumul de prises en charge : familles issues de l'immigration, vivant dans la précarité et/ou la marginalité, personnes vivant avec des incapacités fonctionnelles.
Le cumul de prises en charge est sous-tendu par la notion de capacité : ces personnes apparaissent comme n'ayant pas été jugées « capables ». Elles font état de leurs familles « pas comme les autres », d'une scolarité « pour des cancres », de travail « difficile à trouver, ingrat et mal payé », de l'impossibilité d'être « normaux ». De plus, même dans l'univers carcéral ces hommes apparaissent comme n'ayant pas leur place. Aussi, la notion de capacité apparait en contradiction avec les notions d'autonomie, dignité et égalité qui sont dans le fondement du processus de la désinstitutionalisation.
La capacité est à la base d'une matrice anthropologique de classement des personnes. Son action est invisible mais ses effets sont implacables. Nous montrerons cela à travers des trajectoires des prisonniers dits ou se disant handicapés.
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